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Comment des OGM cachés arrivent sur le marché

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Elles ne sont pas encore dans nos assiettes. Mais, dans les laboratoires des sociétés de biotechnologies, elles poussent à vive allure. Et elles ne tarderont pas à arriver sur le marché. Ce sont de nouvelles variétés de plantes, céréales, fruits et légumes issues des techniques de manipulation génétique les plus avancées. Il s’agit bien, au sens propre, d’organismes génétiquement modifiés (OGM).

Pourtant, elles n’ont pas encore de statut. Tandis qu’aux États-Unis des variétés de colza et de pomme de terre ont été exemptées de procédure d’autorisation par le ministère de l’agriculture, en Europe, ces cultures en germe échappent pour l’instant à toute réglementation. Et ce, alors que l’Union européenne (UE) vient d’adopter une nouvelle législation réformant le processus d’autorisation des OGM, après des années de blocage sur le sujet.

Les OGM classiques sont obtenus par la méthode de la transgénèse: un gène étranger provenant d’un autre organisme – un transgène – est introduit dans le génome d’une espèce végétale pour lui conférer une ou plusieurs propriétés. Par exemple, le pouvoir de sécréter un insecticide qui le protège des ravageurs − c’est le cas du seul OGM cultivé en Europe, le maïs MON 810 de Monsanto, actif contre la pyrale −, ou une tolérance, c’est-à-dire une résistance aux herbicides, qui lui permet de survivre à l’épandage de désherbants tels que le Roundup de la même firme américaine.

Paysage incontrôlable

A côté de la transgénèse existe pourtant une autre voie : la mutagénèse. Des mutations aléatoires sont provoquées dans le génome d’une plante, en l’exposant à des agents chimiques ou à des radiations (rayons gamma ou rayons X), puis, parmi tous les mutants obtenus, sont sélectionnés ceux qui possèdent les propriétés recherchées : meilleur rendement, résistance aux parasites, tolérance à la sécheresse…

Ce procédé est utilisé depuis plus d’un demi-siècle – quelque 3.000 variétés végétales mutées sont répertoriées dans le monde – et ses promoteurs font valoir qu’ils ne font qu’accélérer le processus de mutation qui, dans la nature, se produit de façon spontanée. Si bien que, selon eux, il n’existe pas de différence entre les mutants naturels et artificiels.

La commercialisation récente de colza et de tournesol rendus tolérants aux herbicides par mutagénèse n’en a pas moins suscité une vive contestation. Notamment en France, de la part de la Confédération paysanne, des Faucheurs volontaires et de plusieurs ONG, qui y voient des « OGM cachés » encourageant un usage intensif de produits herbicides nocifs pour l’environnement et la biodiversité.

C’est que l’Union européenne, tout en attribuant à ces plantes mutées la qualification d’OGM, les a exclues du champ d’application de sa directive de 2001 sur les organismes génétiquement modifiés – ceux, précise pourtant ce texte, « dont le matériel génétique a été modifié d’une manière qui ne s’effectue pas naturellement par multiplication et/ou par recombinaison naturelle ». Ce qui est le cas avec la mutagénèse.

D’ici peu, le paysage va devenir encore plus complexe, sinon incontrôlable. Car l’industrie des biotechnologies explore aujourd’hui de nouvelles pistes, plus rapides, moins coûteuses et moins aléatoires, comme « l’édition de gènes ». Ces procédés s’apparentent à une chirurgie de précision. Grâce à des « ciseaux à ADN » – des nucléases –, il est possible d’opérer une coupure sur un site ciblé du génome, soit pour y insérer un gène étranger, soit pour modifier ponctuellement un gène, soit encore pour inactiver un gène.

L’objectif est toujours d’améliorer les performances agronomiques des végétaux, ou de les rendre résistants aux pathogènes et tolérants aux stress (chaud, froid, salinité, manque d’eau…), ainsi qu’aux herbicides. Mais il est atteint, vantent les industriels, avec beaucoup plus de fiabilité.

Cela, même si le risque existe que les ciseaux coupent l’ADN ailleurs qu’à l’endroit prévu, ce qui pourrait déclencher des mutations non désirées. Tous les géants du secteur, Monsanto, Syngenta, Pioneer, Bayer ou BASF, sont sur les rangs. Mais ces technologies sont aussi à la portée de start-up, comme la société française Cellectis qui, spécialisée dans le traitement des cancers, s’est lancée dans l’ingénierie du végétal, avec sa filiale Cellectis Plant Sciences, implantée aux États-Unis.

Brouillard réglementaire

Or, ces nouvelles variétés germent dans le brouillard réglementaire le plus épais. Alors qu’aux États-Unis l’administration tranche au cas par cas, au sein de l’UE, rien n’a encore été décidé. Ces semences entreront-elles dans le périmètre de la directive sur les OGM ?

Passeront-elles entre les mailles du filet ? Interrogée, la Direction de la santé et de la sécurité alimentaire de la Commission de Bruxelles répond que la question « est complexe et nécessite une analyse juridique approfondie, qui est en cours et dont les conclusions seront rendues dans les prochains mois ». Pour les industriels, l’enjeu est majeur.

Si leurs produits ne sont pas catalogués comme OGM, « ils seront dispensés des procédures d’évaluation des risques, d’autorisation, d’étiquetage et de suivi des impacts potentiels sur l’environnement », explique Éric Meunier, de l’association d’« information critique et indépendante » Inf’OGM. Ils éviteront également l’image souvent négative associée aux cultures génétiquement modifiées.

Mais les entreprises veulent aussi être fixées pour ne plus investir dans ce domaine en aveugle. « Depuis des années, la profession et les chercheurs attendent que la question soit tranchée par la Commission européenne, qui a peur d’ouvrir une boîte de Pandore », commente Peter Rogowsky, généticien moléculaire à l’Institut national de la recherche agronomique (INRA).

Ce chercheur coordonne le projet Genius, qui regroupe quinze partenaires publics et privés français et qui vise à « l’amélioration et l’innovation technologiques pour les plan- tes d’une agriculture durable ». Il porte, notamment, sur différentes variétés de maïs, riz, pomme de terre, blé, tomate ou colza. « Les nouvelles technologies d’ingénierie du génome sont avant tout de formidables outils de recherche », défend M. Rogowsky.

« Ce qui pose problème, c’est la frénésie et la rapidité avec laquelle on modifie le monde du vivant »

L’objectif est de « générer des connaissances pour mieux répondre aux défis d’une agriculture productive et durable ». Olivier Le Gall, directeur général délégué de l’INRA, ajoute : « Il est indispensable, tant pour les partenaires privés que pour la puissance publique, de disposer en France et en Europe d’une très bonne maîtrise de ces techniques émergentes. »

Tel n’est pas l’avis de Frédéric Jacquemart, chargé des biotechnologies à France Nature Environnement et ancien vice-président du comité économique, éthique et social du Haut Conseil des bio- technologies (HCB). « Ce qui pose problème, dit-il, ce n’est pas tel ou tel OGM. C’est la frénésie et la rapidité avec laquelle on modifie le monde du vivant, en y introduisant, de façon massive, des plantes qui n’ont pas l’historicité de ce système et qui n’ont pas évolué en cohérence avec lui. »

Bénédicte Bonzi, qui représente les Amis de la Terre au HCB, abonde dans ce sens. « Ces nouvelles variétés répondent à la définition des organismes génétiquement modifiés, estime-t-elle. Les exclure du champ réglementaire les rendrait invisibles et priverait les citoyens de toute possibilité de savoir si elles sont dangereuses ou non pour l’environnement et la santé. Le principe de précaution n’est pas optionnel. Notre responsabilité pour les générations futures est engagée. »

L’industrie des biotechnologies explore de nouvelles pistes, plus rapides, moins coûteuses, comme l’« édition de gènes ». L’agroalimentaire, l’industrie, la pharmacie et le secteur de l’énergie font de plus en plus appel à des micro-organismes génétiquement modifiés pour produire des molécules.

Deux études américaines, publiées jeudi 22 janvier dans Nature, proposent des pistes pour leur interdire de survivre hors des laboratoires et éviter qu’ils n’envahissent l’environnement.

Bioconfinement

L’idée des équipes de George Church (Harvard) et Farren Isaacs (Yale) a été d’introduire dans le génome de la bactérie E. Coli des fragments d’ADN qui la rendent dépendante de la présence d’acides aminés qui ne sont pas disponibles dans la nature. Le généticien français Philippe Marlière, pionnier du « bioconfinement », salue ces avancées, mais note que « l’irréversibilité du confinement est loin d’être encore établie, aussi bien théoriquement qu’expérimentalement ».

4 % des terres

C’est la part des terres agricoles cultivées dans le monde avec des plantes génétiquement modifiées, en 2013. Soit 170 millions d’hectares, dont 70 millions aux États-Unis, 40 millions au Brésil et 24 millions en Argentine. En Europe, seul le maïs MON810 est cultivé, pour l’essentiel en Espagne (132.000 ha) et au Portugal (8.500 ha). Les principales plantes transgéniques commercialisées sont le soja, le maïs, le coton et le colza, en majorité pour l’alimentation animale et la production de bio-carburants.

Le Monde


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